Entre lutte interne et lutte des classes

L’organisation du don au sein des Rotary Clubs

Fondés au début du XXe siècle à Chicago les Rotary Clubs rassemblaient les magnats de l’économie américaine afin d’améliorer leurs relations commerciales. Quelques années plus tard les clubs se tournent vers la philanthropie dans la lignée de nombreux millionnaires de l’époque (Guilhot 2006).
Réseau devenu international, les Rotary Clubs continuent leur recrutement au sein des différentes élites des pays dans lesquels ils sont installés et se sont désormais axés sur l’action caritative et humanitaire (l’un de leur projet est l’éradication de la poliomyélite dans le monde).
À Amiens, on trouve 4 Rotary Clubs (ce qui représente un nombre plutôt important pour une ville relativement petite), 1 club Inner-Wheel (club crée à l’origine pour accueillir les épouses de rotariens dont les clubs n’étaient pas mixtes (maintenant la plupart le sont sauf le plus ancien d’Amiens (bien que cela ne soit apparemment pas volontaire)) et un club Rotaract (pour les 18-30 ans).
Le club est dirigé par un président élu tous les ans et un bureau exécutif. Il fait partie d’un district (par exemple pour nous le district compte les clubs du nord de la France). Il est également lié au Rotary international.
Le recrutement au sein des clubs se fait par la cooptation au sein des milieux patronaux, des professions libérales, du milieu politique, de la haute administration… . Un membre du club doit proposer votre candidature pour y rentrer. Votre profil est ensuite scruté de toute part pour éviter les membres avec une réputation peu envieuse qui rejaillirait sur l’image générale du club. Une fois accepté le membre reste généralement à vie dans le club. Pouvoir se prémunir d’un club Rotary constitue d’ailleurs un avantage dans les « affaires » puisque cela témoigne d’une fiabilité, d’une « caution sociale » (Weber 1964) donnée par le club qui a vérifié le profil de la personne. Cette appartenance permet également aux membres de rencontrer d’autres acteurs influents et de se faire reconnaitre par eux (une dimension indispensable pour progresser dans les affaires) (Bourdieu 1980).

Diversité et hiérarchie au sein des classes dominantes

Une enquête au sein des classes dominantes permet dans un premier temps de pointer leur diversité. En effet, au sein de ce que l’on uniformise généralement sous le terme de « dominants » on trouve plusieurs types de dominations, de trajectoires sociales, et de professions.
Cette diversité est donc vectrice de hiérarchies entre les individus. Ainsi les salariés se trouvent déclassés par rapport aux entrepreneurs, les personnes en cours d’acquisition d’une position dans l’espace social par rapport aux « installés ».
Cette hiérarchie existe donc aussi entre les clubs. Les clubs de femmes et de jeunes sont donc dominés et ne sont d’ailleurs pas considérés comme des Clubs Rotary par les autres.
Entre les Clubs Rotary (les 4) les hiérarchies se font en fonction de l’ancienneté du club (le plus vieux d’Amiens date de 1938), du coût de sa cotisation et de son ouverture (plus il est difficulté à rentrer dans un club, plus il sera convoité et élevé dans la hiérarchie).

Le don

Dans les Rotary Club l’organisation des dons et des collectes de fonds ne se fait pas comme dans les associations « plus classiques ». Les Rotary Clubs recrutent parmi les dominants ; le don est donc organisé de la manière dont ils divisent le monde. Il répond à de critère de rentabilité, ce qui peut paraître étrange pour un don mais dans ces milieu on parle de profit pour évoquer l’argent récolté, on fait des business-plan pour organiser les actions et on choisi les associations auxquelles on donne. On les choisi d’ailleurs scrupuleusement en fonction de ce que l’on considère comme des causes qui méritent d’être aidées, (généralement les enfants malades ou des causes lointaines ; les associations d’aide à la reprise d’autonomie des individus) mais pas les caisses de grève ni les association d’aide aux réfugiés. Cependant exclure certaines catégories de la population de la sphère du don ne résulte pas d’une volonté consciente mais plutôt de la vision du monde qu’ont les individus qui composent le groupe.

La préservation de l’ordre social

Cette action caritative (efficace quand on regarde les fonds levés par les Clubs) permet cependant une conservation de l’ordre social existant. Pour dire cela, nous nous appuyons sur les travaux de l’historien anglais E. P. Thompson et de son concept d’économie morale (Thompson 1971). Ce dernier analyse les émeutes de la faim du 18ème siècle comme des réactions à la rupture de l’économie morale des pauvres transmise au fil des générations dans les classes populaires. Pour lui, cette économie morale (qui doit pourvoir à la capacité de vivre des classes populaires doit être assurée) est assurée par le gouvernement qui maintient les prix et donc une certaine justice (dont est issu le concept de moral). Si cette moralité dans l’économie n’est plus assurée, alors des rébellions (légitimes pour le peuple) surviennent et mettent en danger l’ordre social existant.
Pour revenir aux Rotary Clubs, le don peut donc être interprété, comme une manière pour les classes dominantes membres des clubs de compenser l’immoralité et les injustices de l’économie actuelle. Cette manière de faire est également issue de la tradition paternaliste des classes dominantes envers les dominés.
Ce concept nous permet de formuler une tentative de compréhension des récentes mobilisations du pays que nous n’avons pas le temps de développer ici :
https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/05/les-gilets-jaunes-leconomie-morale-et-le-pouvoir/

Héloïse GRARD

BIBLIOGRAPHIE

  • Pierre Bourdieu, Le capital social : Notes provisoires, Actes de la recherche en sciences sociales, 1980: 2-3
  • Bruno Cousin et Sébastien Chauvin, La dimension symbolique du capital social: les grands cercles et Rotary clubs de Milan, Sociétés contemporaines, 2010: 111-137
  • Nicolas Guilhot, Financiers, philanthropes: Sociologie de Wall-Street, Paris: Raisons d’agir, 2006
  • Edward P. Thompson, The Moral Economy of the English Crowd in the Eigtheenth Century, Past and present, Février 1971: 76-136
  • Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Flamarion, 1964
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