Enquête de terrain d’étudiants de M1
Dans le cadre du stage d’enquête de terrain de Master 1 CITE il nous a été demandé de travailler sur la sociologie d’un groupe professionnel amiénois.
Avec deux de mes camarades de promotion du Master 1 nous avons choisi de travailler sur la sociologie du groupe professionnel des maraîchers des hortillonnages d’Amiens.
Nous pensions rencontrer des « héritiers » d’une tradition de culture de légumes dans les « marais » puisque le maraîchage dans les hortillonnages est une activité très ancienne remontant à l’époque Gallo-romaine où il existait à la place des hortillonnages un ensemble de marais et d’îlots.
La communauté des maraîchers est aussi très ancienne, avec en son sein de véritables dynasties d’hortillons (terme employé pour désigner un maraîcher des hortillonnages). Il y en avait par exemple encore 47 en activité en 1762 mais n’en subsiste plus que 7 aujourd’hui, la plupart issus d’une même grande famille. L’activité a donc connu un fort déclin depuis plusieurs décennies alors même que le localisme ou le manger « BIO » sont devenus des modes de consommation assez populaires de nos jours.
Les maraîchers des hortillonnages sont une profession à multiples visages que nous avons pu découvrir : il y d’une part les maraîchers traditionnels qui exercent leur activité comme des « notables » locaux dominant la sphère maraîchère des hortillonnages, ils sont issus de grandes lignées de maraîchers et tout le monde ou presque dans leur familles est maraîchers. Les enfants commencent tôt à aider les parents dans les exploitations et le métier se transmet à la descendance.
C’est le cas par exemple de la famille X qui est composée de 5 frères tous maraîchers, fils de parents maraîchers et pour certains d’entre eux dont les enfants se destinent à une carrière maraîchère ou viennent d’entrer en activité.
L’autre visage que nous avons rencontré est celui des « nouveaux entrepreneurs » maraîchers qui eux ont des parcours et des propriétés sociales bien différents des autres maraîchers des hortillonnages d’Amiens.
Ils investissent l’activité maraîchère avec des ressources propres et des savoirs-faire différents des maraîchers traditionnels. Certains sont maraîchers « Bio » et d’autres font de la culture raisonnée.
Nous n’avons pas eu l’occasion de tous les rencontrer à cause de défection de la part de certains enquêtés ce qui est fort dommage mais fait partie des contraintes liées à une enquête se déroulant sur une seule semaine et avec un objet d’étude très circonscrit se limitant à une poignée d’individus qui sont les derniers représentants de leur activité dans les hortillonnages d’Amiens.
Ces « nouveaux entrepreneurs » maraîchers ont tous en commun de ne pas avoir de membres de leur famille qui exerçaient cette activité avant eux, excepté pour un cas des proches dans l’agriculture conventionnelle, ils sont donc les premiers à se lancer dans cette activité qui peine pourtant à séduire de nouveaux arrivants du fait de la difficulté excessive d’obtention de terres et des contraintes administratives qui peuvent peser sur le métier (les terres sont en effet très recherchées, notamment par les particuliers souhaitant y faire des jardins d’agréments).
Pour ce qui est des contraintes administratives nous pouvons par exemple noter la nécessité d’avoir une terre suffisamment importante pour pouvoir y établir une culture et les contraintes du statut d’aidant pour l’époux / l’épouse qui souhaite travailler avec son / sa conjointe. Ces contraintes sont doublées d’une forte précarité des aidants qui nous ont évoqué qu’ils n’auraient « pas de retraite » pour nous expliquer la faiblesse de celle-ci. Cette précarité vient s’additionner aux contraintes et font du métier de maraîcher des hortillonnages d’Amiens une profession difficile d’accès (besoin de ressources matérielles importantes : terres, barques pour transporter les légumes, fourgonnettes, des ouvriers agricoles) et au sein de laquelle les conditions socio-économiques d’existence ne sont pas simples et peuvent rebuter de nouveaux arrivants dans la profession qui connaît donc un fort déclin.
Les « nouveaux entrepreneurs » maraîchers sont intéressants car ils sont à la fois militants et pratiquants. Ils militent pour le mode de culture qu’ils estiment le plus approprié (comme l’agriculture biologique, le raisonné, la permaculture etc) et appliquent ce mode de culture dans l’exercice de leur activité professionnelle. C’est un engagement économique (car ils estiment pouvoir avoir de meilleurs rendements ou tirer davantage de bénéfices de la vente de produits dont la culture peut être une valeur ajoutée, comme le BIO) et moral, là où les maraîchers traditionnels n’ont pas spécialement d’idéologie constitutive de leur activité.
Nous avons toutefois pu remarquer qu’un maraîcher en particulier avait effectué un changement dans son mode de culture, autrefois il utilisait les pesticides pour effectuer une culture intensive et produire en grosse quantité ses légumes, il s’est laissé tenté par l’idée d’une agriculture plus raisonnée que sa femme venant d’une famille non maraîchère lui avait proposé.
Pour terminer je souhaite conclure sur l’importance d’avoir une forte distance sociale vis-à-vis de son objet d’enquête afin de ne pas apporter ses propres préjugés sur celui-ci ce qui peut avoir des effets forts sur notre recherche.
Écrit par Paul Dupont