Avant le parloir, l’Escale.

En pleine crise sanitaire due au COVID-19, le nombre de mutineries dans les prisons françaises ne fait qu’augmenter. En effet, les prisonniers sont privés de visites, les parloirs sont fermés, les activités socio-culturelles et le travail non-indispensable sont aussi annulés. Ces prisonniers et leurs familles ont véritablement besoin de soutien en cette période inédite de confinement national. 

Nous sommes entrées en contact avec Christine Wachowiak, directrice de L’Association l’Escale ANVP (Association Nationale des Visiteurs de Prisons ). Cette association est un soutien pour les familles des prisonniers de la maison d’arrêt d’Amiens depuis 1989. Les membres de l’association jouent un rôle d’accueil, d’écoute et d’information. L’association joue un rôle d’autant plus important en ce temps de confinement. En effet, les familles ne peuvent pas rendre visite aux prisonniers par mesure de sécurité en raison du COVID-19, et c’est souvent un véritable déchirement pour certaines d’entre elles. 


Enregistrement de l’interview en audio

Quand l’association a t-elle été créée ? Par qui ? 

L’association a été créée en 1989 par les visiteurs de prisons. Elle a été maison d’accueil jusqu’en juillet 2018. C’était au départ une petite maison amiénoise qui se situait rue Voltaire, qui d’ailleurs était située assez loin de la maison d’arrêt ce qui n’était pas très pratique car les personnes étaient anxieuses de rater le parloir.

Quel est votre rôle ? En quoi cela consiste t-il ?

Notre rôle est d’accueillir les familles en attente des parloirs, avant le parloir, après le parloir, et puis on peut garder des enfants qui ne vont pas au parloir. Notre rôle est de les déstresser, de répondre à leurs questions, les aider pour des papiers, les écouter, être bienveillants pour qu’ils puissent aller plus détendus au parloir, et qu’ils le soient aussi après. Quand ils reviennent c’est important d’avoir un regard sur la personne car on peut déceler un mal-être. Cela consiste à être au plus proche d’eux, sans pour autant les questionner car c’est vraiment eux qui gèrent le filtre entre nous. On est juste présents, et s’ils ont besoin, nous sommes disponibles.

On pourrait donc dire que votre attitude c’est toujours la neutralité ? 

Oui tout à fait. De toute manière par exemple, il y a des familles qui se plaignent de la maison d’arrêt pour ceci ou pour cela mais nous ne devons pas prendre position. On les écoute, mais on ne prend pas position, c’est aussi pour atténuer leur colère…

C’est donc beaucoup un rôle d’écoute que vous tenez ? 

Oui. Cependant il y a aussi de l’accueil et surtout de l’information car on les aide beaucoup dans leurs démarches, qu’elles soient administratives ou autres. On les aide aussi à s’organiser dans leur vie personnelle. On réfléchit ensemble car ils demandent des petits conseils. Dans certains cas on les oriente vers une assistante sociale, ou bien la Croix Rouge, ça dépend de chaque dialogue. Et en même temps, tout cela peut se faire uniquement en s’étant apprivoisé. On essaie de rentrer dans leur confiance car ça ne peut pas se faire comme ça. Il se peut qu’une personne viennent trois fois d’affilée et qu’elle ne dise pas un mot, et puis qu’à la quatrième visite elle commence a se détendre et prendre confiance.

A titre personnel, pourquoi avez-vous fait le choix d’entrer dans cette association ? Maintenez-vous un emploi à coté, ou est-ce que c’est votre fonction principale ?

Actuellement je suis à la retraite depuis 18 mois, mais j’ai commencé en 1996, donc à l’ouverture de la maison d’accueil qui se trouve en face de la maison d’arrêt. Je suis tombée sur une annonce qui disait que cette association recherchait des bénévoles. Et comme j’habitais le quartier et que je passais tous les jours devant la maison d’arrêt je me suis dit que je voulais aider. C’est aussi en voyant les familles traverser la route avec les enfants, leurs sacs, que je me suis posé la question « et les enfants dans tout ça ? ». Je me suis dit que ça ne devait pas être facile car ils étaient tirés par la maman. Est-ce que vraiment ils avaient envie d’aller dans cette maison d’arrêt ? Je me suis dit qu’ils allaient déjà être exclus de certaines choses, donc je suis allée à la maison d’accueil pour proposer mon bénévolat le mercredi (quand je ne travaillais pas).

En fait, ce pourquoi vous vouliez devenir bénévole dans cette maison d’accueil, c’était les enfants ? 

Tout à fait. Ma première pensée a été vers les enfants.

C’est sûr, ce qui fait réfléchir c’est la place des enfants dans ce genre d’endroit. 

Oui tout à fait. Et puis il faut voir aussi que pour nous toutes, ces mamans sont très courageuses. Elles se retrouvent seules avec les enfants, avec les factures, avec les problèmes financiers, la fatigue… avec quelques fois les problèmes avec les voisins, ou tout simplement le regard des autres. Ces familles vivent une exclusion aussi, il faut le comprendre. Donc si on peut participer au fait de leur amener le sourire, ou même une parole encourageante, on le fait.

Vous percevez à ce point l’ostracisation (mise a l’écart social) de ces familles ?

Ces dames-là font de belles choses. Même si la vie est très difficile, qu’elles n’ont pas toujours fait les bons choix, elles ont beaucoup de valeurs. Donc le fait qu’on les aide, qu’on leur parle, qu’on les mette en confiance, ça fait ressortir aussi ce qu’elles ont de bien en elle, pour qu’elle reprennent confiance. C’est important de leur dire qu’elles sont importantes. 

Etes-vous en contact avec la maison d’arrêt ? 

Le local est prêté par la maison d’arrêt et on a quand même un règlement à tenir (la discrétion par exemple). Donc on a peu des relations au quotidien. Cependant, il nous arrive de remonter certaines informations, ou des questions, comme les angoisses des gens concernant certains sujets, car nous n’avons pas le droit de rentrer dans la maison d’arrêt. Par conséquent, on ne connaît pas tout son fonctionnement. Nous n’avons pas accès au règlement de la maison d’arrêt, donc quelques fois les gens posent des questions, on essaie de leur répondre, mais si on a une hésitation, on prend directement contact avec la maison d’arrêt pour avoir les bonnes réponses. 

Avez-vous déjà été confrontée à des situations difficiles ? 

Nous sommes deux accueillantes chaque jour pour ne pas avoir de problèmes. Ce n’est pas obligatoire d’être deux pour la sécurité, mais à Amiens, cela ce passe comme cela. Il y a des maisons d’accueil en France qui ne fonctionnent qu’avec une accueillante par jour. Nous, nous avons beaucoup de gens différents qui viennent, des enfants aussi, beaucoup de monde donc ça peut permettre aussi qu’une accueillante s’occupe des enfants pendant qu’une autre répond aux questions des familles. C’est une règle comme ça. Il peut nous arriver de rappeler le règlement du local a certaines personnes, mais en général on s’attache à rester dans la bienveillance et le dialogue. Dans l’ensemble de toute façon, les gens sont assez respectueux. 

J’imagine aussi qu’ils sont respectueux car ils savent que vous êtes là pour les aider, et donc on en revient au climat de confiance que vous avez su instauré ? 

Oui bien sûr. Et il ne faut pas croire, les gens repèrent très bien ce genre de choses. Ils repèrent si on est souriant, si on a une petite parole agréable. Ils regardent si on s’occupe bien des enfants, si on est gentil avec eux. Ils ne le disent pas en face, mais ils regardent tout ça. Après, il est arrivé que des familles se mettent en colère. Mais c’est souvent dû au fait qu’ils arrivent une ou deux minutes en retard pour le parloir et que la maison d’arrêt ne les laisse pas entrer dans l’enceinte. Et ça c’est la plus grande colère à laquelle on ait eu affaire : quand il y a eu un embouteillage, ou quand le bus n’est pas passé… Ils ont du mal à accepter.

Comment avez-vous fait face ?

En général, ce qu’on leur conseil c’est d’appeler le CPIP (Conseiller d’Insertion et de Probation) qui suit le dossier du détenu en leur téléphonant et en leur expliquant pourquoi ils n’ont pas pu aller au parloir. Et tout va bien, car les familles ont toujours peur aussi que le détenu s’inquiète.

Et vous, quel est l’impact de votre investissement personnel lié a votre bénévolat dans votre vie ? Y’en a t-il eu un ? 

Dans l’association nous avons aussi des formations, il y a un psychologue de la fédération nationale qui vient pour nous apprendre. Car il faut absolument que, quand on arrive à la maison d’accueil, on laisse les problèmes personnels de côté. Certes, nous avons entre nous notre langage, nos certitudes, notre vie mais les gens que l’on accueillent ne fonctionnent pas du tout comme nous, donc il faut être attentive. Aussi, de part mon ancien travail j’ai été amenée à recevoir du public, et j’ai tout à fait la même attitude en maison d’accueil. Ça nous apprend la tolérance, la patience, beaucoup de choses.

Que pensez-vous de ce sytème pénitentiaire ? 

Moi je pense que ce n’est pas une bonne idée d’enfermer les gens. Certes il y a des gens qui sont dangereux et qui doivent être enfermés, mais pour les autres, on devrait donner plus de peines en semi-liberté, des bracelets, privilégier les accompagnements. Enfermer quelqu’un pendant des mois dans 9 mètre carrés avec la télé, je trouve que ça ne sert à rien. C’est une punition censée faire comprendre à la personne ce qu’elle a fait, mais il n’y a qu’à voir le nombre de récidives pour s’apercevoir que ça ne sert à rien.

Comment financez-vous cette association ? 

Jusqu’alors on avait la chance d’avoir en plus des bénévoles, des contrats aidés, qui étaient là tout le temps, notamment pour le ménage et l’accueil. Cette personne faisait le lien avec toutes les personnes aidantes car nous travaillons par binômes tous les jours. Mais tous les jours nous procédons à un roulement. Ce ne sont pas les mêmes personnes accueillantes d’un jour à l’autre. Il y a aussi certaines accueillantes qui viennent tous les quinze jours, et d’autres toutes les semaines. Donc la personne qui était en contrat aidé pouvait alors faire le lien avec tout le groupe. Cependant, depuis la dernière élection présidentielle, Monsieur Macron a supprimé les contrats aidés. Nous avons donc aujourd’hui moins de finances et l’emploi PEC n’est pas forcement une alternative intéressante pour nous car on doit payer 75% de son salaire. Donc on a dû abandonner. Ce qui est regrettable car les personnes que nous avions prises dans ce cadre avaient elles besoin de travail. Et elles ont pu avec ce travail reprendre confiance en elles et rebondir. Nous avions des gens qui ont fait des formations pour être auxiliaire de vie, une autre qui a passé le concours pour être assistante sociale, une dame qui est devenu agent administrative à l’OPAC, une autre qui est allée ensuite dans une association pour s’occuper des enfants. En général, les personnes qui nous ont quittés sont restés 6 ans avec nous, et la dernière, 2 ans. Toutes ces personnes ont rebondi dans la vie après leur emploi aidé. Nous avons une personne qui vient une fois par semaine faire le ménage au local, elle est payée en chèque emploi-service car les accueillantes ont de l’âge et ne veulent pas forcément faire de ménage. Aujourd’hui nous avons le soutien financier d’Amiens Métropole, du Conseil Général et la direction inter-régionale du service pénitentiaire. Sauf que là, actuellement, nous n’avons pas grand-chose car nous sommes encore au stade de la demande. Il n’y a que la direction inter-ministérielle qui nous a donné un petit quelque chose. Donc on fait attention à nos dépenses.

Peut-on faire des dons a l’association ? 

Oui. Chaque année un appel aux dons est lancé pour préparer un colis à chaque détenu à la période de Noël, et ce, avec les directeurs de prison. Cependant ce n’est pas pour le fonctionnement de l’association l’Escale.

En tant qu’association, quels seraient vos besoins pour financer votre action ? 

Au niveau des effectifs, on est toujours en recherche de bénévoles car on n’est pas éternel, et ça permettrait aussi de faire plus d’activités avec les uns et les autres. On voudrait aussi prendre un emploi civique. Aussi, ce que les familles expriment, c’est qu’elles n’ont pas d’endroit où parler vraiment. La personne incarcérée peut rencontrer un psychologue, quelqu’un à qui parler, faire la demande pour avoir des visiteurs, tandis que la famille se retrouve vraiment isolée, seule pour parler de leurs vies… On aimerait donc pouvoir monter un petit groupe de parole avec eux.

Vous avez donc encore beaucoup de projets que vous aimeriez developper au sein de l’association ? 

Oui, tout à fait. Nous avons encore plein de projets en tête. Aussi, chaque année, il y a la journée nationale des prisons. Tous les départements sont  invités et nous aimerions y présenter une idée : celle de faire au niveau de la ville une conférence ou un film pour faire connaître aux gens le milieu carcéral car ils ne connaissent pas du tout. C’est un milieu qui leur amène des peurs ou des préjugés, donc on aimerait qu’ils connaissent les conditions de vie des personnes incarcérées. On aimerait avec cela essayer de dédramatiser aussi. Le but serait qu’on s’unisse pour améliorer leur conditions de vie. Notre plus gros souci, c’est la sortie des détenus. Il faut savoir qu’il y a encore trop de « sorties sèches ». Ces sont des gens qui, quand ils sortent de prison, ont leur sac et rien d’autre. Ils n’ont personne qui vienne les chercher. Ils sont livrés à eux mêmes. Alors forcément, ça amène à la récidive. 

Ces personnes peuvent-elles trouver refuge dans des foyers ? 

Certains, oui. Mais pas tous. Et ils n’y restent pas bien longtemps… ils sont à la rue. Cependant ce sont des projets d’aide pour eux que nous ne mèneront pas seuls. On le fera avec les visiteurs de prison car nous avons la même façon de voir les choses. 

Site de l’association : https://anvpamiens.wordpress.com/

 

Clarisse Borgès & Agathe Carle
L2 Science Politique

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