Dans une société réputée de plus en plus individualiste, certains décident d’aider. Dans la période que nous traversons actuellement (période de confinement liée au covid-19, pour les lecteurs tardifs), la solidarité et l’entraide sont les maîtres-mots pour sortir de la crise. Dans cet article, nous sommes allés rencontrer quelqu’un qui n’a pas attendu la pandémie pour faire preuve de solidarité et de bienveillance : Giacomo, bénévole à la Maison du Colonel.
Bien loin de l’activité festive de Saint-Leu ou de la foule de la place Gambetta, se trouve, en plein quartier Elbeuf, ce projet de café associatif, le seul à Amiens. Son but, c’est d’apparaître comme un vecteur de lien social important, dans ce quartier Elbeuf défavorisé, où le chômage, l’isolement et la pauvreté s’accroîssent d’année en année. Explications avec Giacomo.
Entretien réalisé le 4 mars 2020
Il est 15h lorsque Giacomo nous ouvre les portes de son appartement. Certains détails ne nous échappent pas lorsque l’on franchit le palier, comme ce canapé improvisé, en palettes aménagées, sur lequel nous prenons place, comme un symbole de la débrouille de ce bénévole de l’association. Giacomo a 30 ans, il est professeur d’Italien, et bénévole à la Maison du Colonel.
Démarré en 2015, la Maison du Colonel est un projet de café associatif, qui prend place dans une petite maison du quartier Elbeuf à Amiens. Plusieurs objectifs alors : rénover cette petite maison, afin de la transformer en un endroit agréable pour la population du quartier, et ce de manière collective et bénévole. Elle a aussi pour but d’être aménagée de façon participative : la finalité étant de faire de l’endroit un lieu de partage, où les habitants et bénévoles peuvent se retrouver afin d’effectuer différentes activités, un lieu qui représente le quartier et le met en valeur de manière artistique notamment. Le projet est alors organisé et géré par une association qui se baptise la Maison du Colonel.
Quand on évoque la Maison du Colonel à Giacomo, son premier réflexe est de nous montrer des photos des aménagements des travaux effectués dans la maison. Sur ces photos, il est toujours accompagné de son petit carnet. “Ça c’est Kinya”, pointe-t-il du doigt sur sa photo. Giacomo nous explique que Kinya a dirigé le côté artistique du café, qu’il a également participé à la mise en place de toilettes sèches par exemple. “Il vit pour ça, et il s’en fiche complètement de l’argent. C’est un vrai passionné, et il est vraiment inspirant”. Kinya Maruyama, c’est la personne qui incarne ce projet. C’est un architecte japonais, passionné de projets originaux en tous genres, que ce soit des workshops, des ateliers, des crèches, à travers le monde entier. Il est le chef d’orchestre du projet, celui qui a donné l’impulsion artistique au projet. Mais les talents de Kinya Maruyama sont déjà très mis en lumière sur le site de l’association, de même que sur leur chaîne YouTube, et c’est bien Giacomo qui nous intéresse ici.
Question bête Giacomo, pourquoi ce nom de Maison du Colonel?
Et bien, tout simplement, parce que le bâtiment se trouve dans l’enceinte de l’ancienne caserne Friand. Certains bâtiments ont été rasés, mais cette maison nous a été déléguée par la ville via un bail emphytéotique (de très longue durée). Nous en sommes donc les propriétaires pour 30 ans.
Comment as-tu connu la Maison du Colonel?
Si je me souviens bien, c’est une amie sur Facebook qui avait partagé un évènement DIY (Do it Yourself, des activités visant à créer des objets sans beaucoup de matériel ni compétences) organisé par la Maison du Colonel. Et l’idée du DIY, c’est certes de faire les objets, mais d’y ajouter une sensibilité pratique, manuelle, et propre à chacun. La démarche m’avait chauffé. Je venais d’arriver à Amiens, et je trouvais le temps parfois long. J’avais fabriqué des Mölkky. J’avais récupéré des platanes que l’asso avait réussi à avoir suite à des travaux dans la ville. Je les ai découpés et taillés à la scie sauteuse : c’était la première fois que j’en utilisais ! Suite à celà, j’ai sympathisé avec les gens et j’ai continué à me rendre aux activités, et j’ai même participé à la réunion citadine, sur les projets à mettre en place, etc. Depuis, j’y suis toujours.
Es-tu reconnu comme membre “officiel” ?
Moi, je suis bénévole. J’ai payé 1€ symoblique mon adhésion. On doit être 500 membres à peu près. Et même si j’ai eu quelques responsabilités (Giacomo a par exemple animé des interviews pour la chaine YouTube de l’association), je ne suis ni plus ni moins que toi ou lui qui décide d’adhérer. C’est juste que, en tant que bénévole, je donne mon temps pour l’organisation et j’essaye de m’impliquer dans tout ce que tu as derrière la maison du colonnel : l’engagement écologique, et les différents évènements que l’on essaie de faire.
Combien de temps consacres-tu à l’association en moyenne ?
Personnellement, ça fait un peu plus de 2 ans que je suis membre de l’association, et que je participe donc aux évènements. Généralement, ça ne dépasse pas les 10h par mois, c’est même généralement 5-6h par mois. Mais cela varie, et en plus j’ai moins de temps qu’avant à consacrer à l’association, étant donné que je suis désormais plus pris par mon job. Avant, ça pouvait aller jusqu’à 10h par week end : certains événements prennent une journée entière à organiser.
« Ça ne s’arrête pas à la bouffe ! Ce que propose la Maison du Colonel, c’est vraiment un truc de dingue. »
Parle-nous de ces évènements…
Il y en a tellement vous savez. On touche à tout. Par exemple, je me rappelle d’un qui m’a marqué : on avait fait une brasserie éphémère, et l’idée c’était de créer un truc attractif et participatif, où tout le monde, peu importe l’origine sociale, ou même la nationalité, puisse venir apporter son grain de sel pour discuter avec les autres et échanger. Il y a encore quelques semaines, on en a fait une au café Saint-Honoré qui nous a gentiment accueillis. On va là-bas, on nous laisse l’accès aux cuisines et à ce que l’on veut, et le café prend juste une petite partie de la recette. On a commencé à 9h du matin. On était entre copains de la Maison du Colonel. On a tout préparé durant la journée. On a été faire les courses ensemble au marché. On a passé la journée à préparer la bouffe, et ça s’est fini à 22h (Il sourit). C’était vraiment sympa.
Quand je parlais du quartier, il faut rappeler que c’est un quartier défavorisé : il y a aussi plein de nationalités différentes. Mais ça ne s’arrête pas à la bouffe ! Ce que propose la Maison du Colonel, c’est vraiment un truc de dingue. Il y a déjà eu des évènements où l’on préparait des produits d’entretiens naturels. On a fait des journées Vélo, avec Véloxygène. Cela se fait généralement au feeling : quelqu’un lance une idée, et si plusieurs sont chauds, on organise ça. Pas de prise de tête !
“Des démarches presque militantes”
En parlant de cultures étrangères… Toi, tu es italien. Il y a une volonté de partage de cultures au sein de l’association ?
Oui, et c’est important. Je me rappelle avoir fait une bouffe sur le thème de l’Italie. Il y a peut-être deux ans, on en avait fait une sur le thème de l’Irak, ou encore de la Macédoine. Mais ça ne s’arrête pas à ça. Il y a véritablement la volonté de partager et découvrir des choses, notamment en cuisine. C’est ça la Maison du Colonel, c’est du partage. Ce sont des démarches presque militantes.
Il y a cette volonté que tout le monde puisse venir et consommer, le but n’est pas lucratif, n’est-ce pas?
Le but, c’est aussi de créer du lien social dans un quartier qui en manque, le quartier Elbeuf. Comme je l’ai dit, la démarche est presque militante. La bière devait être à même pas 2€, et le cidre gratuit. Il y a aussi des après-midi ou l’association offrait des crêpes aux gens.
Qu’en pensent les voisins ?
Je pense qu’il y a un attachement de la population vis-à-vis de la Maison du Colonel. On essaie de créer un mouvement dans ce quartier, de l’enraciner dans le territoire. C’est bienveillant, et on espère que la Maison du Colonel apparaît ou apparaîtra comme l’un des symboles du quartier.
Toi, tu es prof dans un collège, mais qu’en est-il des autres membres ? Sont-ils issus de classes homogènes ?
Je ne pense pas. Il y a vraiment de tout : des retraités, qui ont du temps et du savoir-faire, des médecins, des profs, des ouvriers. Et à vrai dire, on s’en fiche un peu. C’est l’envie de partager des bons moments pour une bonne cause qui nous fait nous réunir, et non le milieu d’où l’on vient.
“La volonté de rester neutres”
Nous qui sommes en licence de science politique, nous sommes obligés de te poser une question : est-ce que vous parlez de politique entre vous ?
C’est une question délicate. On a un membre qui était très impliqué dans la campagne de “Amiens c’est le tien” (l’interview a été réalisée dans la période de campagne municipale). Donc il n’y a pas de militantisme, mais il y a des affinités on va dire. On avait eu le même souci avec le film de François Ruffin, J’veux du soleil, qu’on avait hésité à diffuser à la Maison du Colonel, avant de décider que non. De plus, Julien Pradat, le candidat de “Amiens, c’est l’tien” faisait lui-même partie des membres au début. Sans se mentir, l’idée générale est plutôt à gauche. Mais on n’a jamais voulu revendiquer quoi que ce soit, parce qu’on a la volonté de rester neutres. On nous avait par exemple demandé de prêter du matériel à « Amiens, c’est l’tien », mais nous avons fini par refuser.
Il ya aussi une volonté de votre part de conserver cette neutralité, non ?
Bien sûr. Jamais vous ne verrez l’association soutenir un candidat plutôt qu’un autre, parce que même si l’idée globale des adhérents est claire, nous sommes ouverts à tous et nous tenons à l’être. C’est le principe de citoyenneté et de bienveillance qui est primordial au sein de la Maison du Colonel.
Comment se structure l’association et comment prenez-vous des décisions?
On redistribue régulièrement les rôles. En octobre on a eu une assemblée populaire. On a une coprésidence de trois personnes qui sont les seul-e-s à être habilité-e-s à signer des autorisation de dépenses, ce qui est assez classique dans le milieu associatif, et qui passent beaucoup de temps sur pas mal de choses diverses au sein de l’asso. Il y a une trésorerie, mais rien n’empêche par exemple qu’on me demande à moi ou à un autre membre de “confiance” de surveiller la caisse. Après il y aussi des assemblées générales plus formelles, ou il y a un compte-rendu, etc. Mais ça reste dans l’esprit de l’association : chacun ramène un truc à manger et c’est sympa, même si on discute sérieusement dans ces assemblées-là, et les décisions à prendre sont prises à ce moment-là.
« La Maison du Colonel se veut égalitaire. Et elle l’est ! »
Avant de conclure, on voulait revenir un peu sur toi et sur ton rapport avec l’association. Est-ce qu’elle t’a permis de rencontrer des gens qui sont maintenant des amis ? As-tu incité des personnes à rejoindre l’association et qui y sont restées ?
Oui bien sûr. En deux ans de temps, il y a une paire d’amitiés qui se sont créées. Une association en général est un bon vecteur social. Le projet de la Maison du Colonel en est un excellent. Et oui, il y a une amie avec qui j’avais partagé l’idée sur Facebook, qui est venue par curiosité, et qui est restée.
Et en Italie, existe-t-il des projets associatifs semblables à celui-ci?
Oui, mais je ne m’y suis jamais impliqué. En réalité, ce n’est pas pareil qu’ici. Les projets associatifs que je connaissais étaient souvent basés sur une partie de la population : des projets entre jeunes, ou entre vieux. Ici, il y a des jeunes, des vieux, et c’est ça qui est génial.
Serais-tu amener à t’impliquer à nouveau dans un tel projet associatif ?
Je pense que oui. Honnêtement, l’associatif est important pour moi, et particulièrement la Maison du Colonel. J’aime aider les gens, et j’ai besoin d’investir mon temps et avoir des trucs à faire qui me semblent utiles. Mais il faut être conscient que la Maison du Colonel est vraiment une association à part. Quand j’étais à Bordeaux, avant d’arriver à Amiens, j’avais essayé de m’impliquer dans de l’associatif sans réel succès. Ces associations étaient déjà bien en place et structurées, et la hiérarchie était déjà établie et n’était pas vraiment égalitaire. La Maison du Colonel se veut égalitaire. Et elle l’est ! Dès que tu es membre, on reconnaît ton implication. Et c’est difficile de trouver une telle réalité associative dans d’autres grandes villes.
Pour terminer, si l’on a vraiment aucune compétence… on peut réellement vous aider ?
Bien sûr ! Je n’y connaissais rien de rien en travaux manuels. Heureusement, il y a toujours quelqu’un pour t’aider. Si tu as du temps à consacrer à l’association, et la motivation qui va avec, c’est déjà énorme et c’est le plus important. Le reste, ça s’apprend tout seul.
Tu conseilles donc aux gens de venir vous aider…
Vraiment. Regardez sur nos réseaux les évènements qui vous chauffent, et venez ! Surtout quand le soleil va revenir, avec le ciel bleu et la bonne humeur, c’est vraiment top. Et vous savez quoi ? La bière n’est vraiment pas cher ! Vous allez tomber amoureux.
Pour en apprendre et en découvrir davantage :
Page Facebook de la Maison du Colonel
Si le coeur vous en dit, la Maison du Colonel vit également grâce au crowdfunding. Vous pouvez soutenir financièrement l’association en vous rendant sur le site officiel : http://www.lamaisonducolonel.com/nous-soutenir/.
Tout nos remerciements à Giacomo.
Raphaël Mouton & Mehmet Topal
L2 Science politique