Le Mail : la prévention pour tous.

L’enquête Escapad de 2017, réalisée par l’Observatoire Français des drogues et des toxicomanies, a mis au jour les consommations importantes de substances psychoactives chez les jeunes. Intrigués par ces résultats, nous avons en savoir davantage sur les acteurs de la prévention.

Fondée en 1975, l’association Le Mail spécialisée en addictologie entreprend des missions de prévention, de soins et de réduction des risques, avec pour volonté d’offrir une offre très large à destination des consommateurs actifs, mais aussi des non-consommateurs. Le mot d’ordre de l’association est l’octroi de soin pour tous en dehors des structures, le Mail mettant tout en oeuvre pour proposer à l’échelle départementale les mêmes soins que ceux diffusés à Amiens. Nous avons interrogé Christine Lebail, responsable du service prévention au sein du Mail depuis 2009, et travaillant pour l’association depuis 25 ans.

Entretien par téléphone, 3 avril 2020.

Quel est la place de la prévention au sein de l’association ?

La prévention a une place importante, c’est l’une de nos principales missions. Nous sommes une petite équipe et devons nous démener pour avoir des financements, à la fois de l’ARS (Agence Régionale Santé) mais aussi de l’Etat avec la MILDECA (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives) mais aussi des subventions des conseils régionaux. Ainsi, le service dépend énormément des appels à projet même si nous disposons d’un contrat pluri-annuel avec l’ARS ce qui fait que ces subventions ne varient pas énormément d’une année sur l’autre.

Etant donné que votre prévention est essentiellement destinée aux jeunes, quels sont vos lieux de prédilection ?

Notre prévention s’adresse aux jeunes à partir de 10 ans. Nous effectuons nos missions dans certaines écoles élémentaires situées dans les quartiers prioritaires. On y retrouve des élèves de cycle 3 (CM1, CM2). Pour des enfants de cet âge, la condition de notre intervention est de rencontrer les parents également. On rencontre également des collégiens, des lycéens et on essaye de travailler avec les étudiants (certains travaillent comme bénévoles ou relais santé au sein de notre association). On travaille avec la FSU (Fédération Syndicale Unitaire) et le CROUS.

Quels sujets abordez-vous avec les plus jeunes ?

Lorsqu’il s’agit de collégiens, nous essayons d’aborder des choses qui font partie de leurs préoccupations. Nous n’abordons pas des sujets auxquels ils ne sont pas encore confrontés. Par exemple, nous n’allons pas faire de la prévention sur des drogues qu’ils ne connaissent pas. On va d’abord échanger avec eux puis s’adapter à la discussion. On rencontre les équipes pédagogiques pour voir s’il y a des choses qu’ils peuvent repérer. Généralement, on ne parle pas d’un seul produit mais de l’addiction au sens de comportement. Notre but est avant tout de montrer les dangers qu’il y a derrière certaines pratiques. On discute avec les jeunes de sujets qui sont encore un peu tabous, qu’ils n’abordent pas forcément avec leurs parents. Nous essayons de clarifier certaines représentations que peuvent avoir les jeunes, par exemple en ce qui concerne l’alcool au volant.

Quels moyens mettez vous en oeuvre pour réaliser cette prévention ?

Nous faisons surtout de la prévention éducative (via des animations). On met en place des jeux (“info/intox”), on fait jouer les jeunes en équipes, on leur fait faire des jeux de plateau. Le but est de les faire parler un maximum. On essaye de rendre le temps passé ensemble ludique. On rencontre les jeunes dans les classes mais on essaye aussi, pour les plus âgés, de faire du travail de rue aux abords des établissements.

En quoi consiste ce travail ?

Le travail de rue s’effectue aux abords des lycées ou foyers. Ce n’est pas notre travail prioritaire mais il nous permet d’avoir des temps de rencontre informels avec les jeunes. On distribue des brochures, on répond aux questions. On distribue des fliers pour la consultation jeune consommateur. La CJC est un lieu destiné aux jeunes et leurs parents. Il concerne les adolescents et jeunes adultes consommateurs de produits stupéfiants.

Quels sont les autres lieux dans lesquels vous exercez ?

Nous nous rendons également dans les centres de formation. On y rencontre notamment des jeunes en décrochage scolaire. Nous nous adressons aussi à des adultes, par exemple sur des chantiers de réinsertion ou même dans le milieu professionnel. Cependant, le milieu scolaire représente le plus large champ d’action de l’association. Nos interventions se produisent aussi dans les milieux festifs, avec notamment l’unité mobile qui se rend à St-Leu les jeudis soirs.

Quel est la vocation de l’unité mobile ?

L’unité mobile a pour vocation de mettre de la proximité dans le soin, c’est à dire aller vers ceux qui ne viennent pas vers nous.  L’équipe de l’unité est composé d’un éducateur et d’un psychologue qui se rendent sur rendez-vous dans des lieux ou l’association n’a pas de structure. Ils se rendent surtout dans des milieux ruraux, le département l’étant particulièrement, et rencontrent des personnes qui n’ont pas les ressources physiques ou financière de se déplacer. L’unité est relativement indépendante puisque l’équipe fixe elle même ses rendez-vous afin de ne pas faire de grand-écart sur le territoire, elle s’installe de manière anonyme, gratuite et confidentielle, les personnes venant à leur rencontre n’ayant pas besoin de leur carte vitale ou de papiers à jours, les soins étant entièrement gratuit. L’unité se rend aussi effectivement à St-Leu mais y a une mission bien plus différente, davantage dans la prévention des risques.

Qu’est ce qui vous différencie des forces de l’ordre (qui font elles aussi de la prévention en milieu scolaire) ?

La plupart du temps, la police va plutôt axer sa prévention sur le domaine réglementaire, le but étant de faire réfléchir les personnes aux conséquences légales de leurs comportements. Ici, notre fonction n’est pas moralisatrice. Nous nous penchons davantage sur la santé et le bien être psychologique.

Pensez-vous que la prévention réalisée par l’association est efficace ?

Des enquêtes montrent que le niveau de consommation des jeunes en France est très élevé. L’enquête Escapad est une enquête réalisée lors de la Journée de la Défense Nationale. Cette enquête a lieu tous les 3 ans et ne concerne que les jeunes de 17 ans. Elle se base sur un important échantillon. Celle de 2018 a enregistré de fortes baisses, notamment sur les expérimentations de tabac, d’alcool, etc. Les taux restent tout de même élevés. Par exemple, cette enquête nous dit que les jeunes en lycée professionnel et en apprentissage sont plus concernés que les lycéens en filière générale. Elle montre aussi qu’en Hauts-de-France les consommations restent en deçà de la moyenne nationale, notamment en ce qui concerne le tabac et le cannabis. Je pense donc qu’on ne peut pas se satisfaire de ces résultats mais qu’ils restent néanmoins encourageants. De plus, je travaille avec une équipe dont les membres ont travaillé au CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction de risques pour Usagers de Drogues) ou en centre d’hébergement, et qui a donc une bonne connaissance du dispositif de soins. Nous sommes une équipe de professionnels, il n’y a pas que des bénévoles. On essaye de se former le plus possible. En prévention, il faut toujours réactualiser ses connaissances. Le seul bémol est qu’il nous est difficile d’évaluer réellement le taux d’orientation réussie après une action de prévention puisqu’on ne peut pas effectuer de suivi personnel.

Au-delà de la prévention, quel autre dispositif mettez-vous en place ?

Nous avons mis en place des groupes de parole, notamment entre les parents, ce qui permet de créer une forme de solidarité. On en a aussi mis en place dans les quartiers prioritaires. Nous travaillons en partenariat avec des structures où les parents d’adolescents, souvent en difficulté, sont accueillis. Nous faisons alors une co-animation avec la personne en charge de la structure. C’est très compliqué de rencontrer les parents de ces quartiers prioritaires, donc nous nous appuyons sur ces structures qui les connaissent et les soutiennent déjà. Il peut s’agir du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), des centres culturels, de la Maison des familles, etc. Nous y allons environ une fois par mois et nous proposons un groupe où les personnes peuvent s’exprimer. Cela ne concerne pas toujours les addictions, on y discute également de l’éducation des enfants, de difficultés dans les fratries, de la manière dont il est possible d’imposer son autorité. Ces groupes de parole sont animés par un psychologue en co-animation avec une personne de la structure. Les parents qui participent à ces groupes y participent généralement régulièrement. Il y a beaucoup d’entraide et les participants sont respectueux de ce qui se dit pendant ces temps de parole.

Antoine Bailly & Justine Rousselle
L2 Science Politique

 

 

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