19% d’étudiants aux idées suicidaires : l’impact de la COVID-19 à l’Université de Picardie Jules Verne

Photo : Sit-in d’étudiants sur la place du Capitole à Toulouse, La dépêche, 26 janvier 2021.

La crise de la COVID-19 n’épargne personne, et certainement pas les étudiants. L’Université de Picardie Jules Verne (UPJV) par le biais du Service Santé Universitaire (SSU) a organisé et soumis un sondage à ses étudiants majeurs afin d’estimer « la prévalence de la détresse psychologique, des troubles anxieux et dépressifs, ainsi que de l’idéation suicidaire des étudiants de l’UPJV » (1). Ce sondage a été administré via les boites mails proposées par l’Université sur une durée totale de 10 jours avec 3139 réponses exploitables. Le Service Santé Universitaires nous propose sa définition de son objet d’étude : « La détresse psychologique est une dimension de la santé mentale mesurée par des indicateurs non spécifiques, qui indiquent une probabilité accrue d’avoir un trouble anxieux ou dépressif sans que l’on puisse conclure au diagnostic ». Les résultats sont alarmants. On apprend que 72,4% des étudiants sont diagnostiqués en détresse psychologique, 54% d’étudiants seraient en état d’anxiété, 33% d’étudiants en symptomatologie dépressive. Les étudiants ayant pensé au suicide sont nombreux. Le sondage les estiment à 19% quand 66% d’entre eux auraient été jusqu’à la scénarisation de leurs pensées suicidaires.

L’UPJV n’échappe pas à la tendance majoritaire : la détresse psychologique et la précarité des étudiants s’alourdissent en raison de la COVID-19.

         Rana, 20 ans, étudiante en première année de science politique, vivait dans un logement du CROUS à Amiens. Elle a décidé de rendre celui-ci en milieu d’année universitaire. « Il y a plusieurs raisons, le motif financier et le motif de la solitude qui ont eu pour conséquence une fatigue considérable. J’avais besoin de retrouver ma famille, être accompagnée et revoir du monde ».

En effet, depuis mars 2019, beaucoup d’étudiants sont en situation d’isolement ainsi qu’en état de dépression au vu de la situation actuelle. La dépression est une maladie qui peut apparaître chez n’importe quel individu et à tout âge. Les étudiants vivant à l’écart de leurs familles et étant seuls y sont particulièrement exposés. Les symptômes les plus courants sont la tristesse, le pessimisme, la perte de la capacité à éprouver du plaisir, le doute sur son avenir et celui du monde en général, les troubles du sommeil et de l’appétit, ainsi qu’un ralentissement de l’activité physique et intellectuelle.

 

La concentration et la capacité à prendre des décisions deviennent de plus en plus compliquées pour les étudiants accablés par la situation

Crédit photo : Lisa Archi

Rana, explique : « Mon décrochage scolaire et ma dépression ont été progressifs. J’avais des cours en présentiel en début d’année puis ils se sont faits à distance, ce qui est compliqué, d’un point de vue psychologique. D’autant plus dans un 9 m² ! Mon mode de vie a été totalement altéré, avec les différentes variables de la solitude, du distanciel, du manque de lien social, d’avoir un rythme de vie décousu et de ne plus avoir aucune activité extra-scolaire. Par la suite, je me suis fait opérer, et ce un mois après la rentrée, donc durant les cours à distance. Les seules personnes que je voyais étaient des infirmiers. C’est à partir de ce moment que j’ai décroché scolairement. Quand j’ai commencé à demander les cours aux étudiants de ma classe, afin de les rattraper, ces derniers refusaient. En plus, on n’a pas pu tisser de lien entre nous, je ne connaissais donc personne à qui je pouvais demander les cours, ce qui est compliqué mentalement ». 

 

          De ce fait, des dispositions afin d’aider les étudiants face à la conjoncture actuelle ont été mises en place, en particulier avec les services de santé universitaires ayant au moins un psychologue en CDI. Zoé Desbureaux, élue amiénoise d’opposition résume une partie du dernier conseil municipal :

« Nous avons appris qu’ils travaillaient beaucoup avec le CROUS, notamment à travers les brigades COVID composées d’étudiants allant à la rencontre d’autres étudiants en résidence universitaire, dans un but préventif. Il y a également eu la création de la Soupape qui est une aide psychologique destinée à tous les Amiénois. La mairie estime que ce n’est pas dans ses compétences de s’occuper des étudiants. En bref, on accompagne mais on ne crée pas grand-chose. Pour la Soupape, l’aide psychologique, c’est ouvert à tous les amiénois donc ce n’est même pas réservé aux étudiants ». 

En règle générale, les étudiants cherchent à solliciter de l’aide psychologique, ce qui est notamment le cas de Rana : « j’ai essayé de voir une psychologue du CROUS mais je n’ai pas réussi à avoir de rendez-vous. Pour ma part cela fait deux mois que je réclame un rendez-vous, que je n’ai encore jamais eu ».

On dénombre un psychologue disponible pour 30 000 étudiants au Service Santé Universitaire de l’UPJV. Le nombre de psychologues mis à disposition par le CROUS Amiens Picardie n’est pas détaillé. Si Rana n’a pas réussi à obtenir un rendez-vous chez un psychologue, elle se retrouve noyée dans l’ensemble de sa promotion.

 

« J’ai l’impression d’être un chiffre »

          Selon elle, les professeurs n’ont pas été suffisamment pédagogues. Elle nous dit avoir l’impression d’être un chiffre. Personne n’est venu vers elle pour voir si elle allait bien et si elle gardait le rythme universitaire. De ce fait, elle a décidé de changer de filière l’année prochaine afin de partir dans un Brevet de Technicien Supérieur (BTS). Pour elle, ce serait bien plus encadré car l’effectif est moins nombreux et la prise en charge sera meilleure par rapport à la faculté, ce qui lui manque. 

C’est sur ce point que Zoé Desbureaux nous explique la difficulté des élus à opérer la tâche de représentation au sein des conseils.

« Le conseil municipal nous donne une légitimité à rencontrer des acteurs de la cité afin de porter leurs voix et aussi notre discours politique »

          Cette dernière nous explique qu’elle avait l’habitude de rencontrer des amiénois, notamment les étudiants pour représenter correctement et solutionner les problèmes rencontrés. Elle développe notamment un point : « J’avais rencontré des étudiants à la citadelle à propos du manque de restaurants universitaires et du manque de lieux de rencontre et de sociabilisation sur les facultés. Après, avec le confinement, cela s’est difficilement enchaîné. Étant donné le contexte, je suis moins amenée à rencontrer des étudiants, néanmoins je suis l’actualité de près ».

          En dépit de la détresse psychologique qui s’accroît, certains étudiants et les élus locaux tirent des leçons de leurs expériences. Rana s’est convertie en bénévole associative le temps de sa reprise d’études en septembre prochain. Ayant connu le décrochage scolaire et un état psychique faible, elle aide aujourd’hui les individus à la réinsertion professionnelle au travers de son organisation. Elle rencontre notamment des jeunes qui ont connu une situation similaire à la sienne. Zoé Desbureaux, quant à elle, nous expliquait sa vision du rôle de la ville notamment au prisme de la crise sanitaire chez les étudiants. Elle explique qu’avant d’être étudiant, on habite dans une ville : « je pense que le rôle de la ville c’est de faire se sentir bien les gens au sein de la cité mais aussi de donner envie d’y rester et pourquoi pas d’innover dans cette ville. Je pense que la ville doit accompagner les étudiants dans leurs projets de vie et lutter contre la détresse psychologique couplée à la précarité. Un étudiant ça ne va pas qu’à la fac ! Un étudiant consomme dans la ville, il a son job dans la ville et participe à la vie de la cité ». 

          La crise sanitaire impacte de plein fouet les étudiants et ces derniers sont plus propices à la détresse psychologique et au décrochage scolaire. Si les étudiants et élus locaux se préoccupent de la situation et cherchent des solutions, le gouvernement également. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a notamment pris l’engagement de geler les loyers CROUS dès la rentrée de Septembre 2021. Il nous reste à voir si cela sera suffisant au vu de la crise étudiante.

 

 

Roman LANIEL, Noémie MONVOISIN, Eva SODANO

L2 Science Politique

 

(1) Enquête du SSU sur la détresse psychologique :

 https://etudiants.u-picardie.fr/medias/fichier/sante-mentale-des-etudiants-upjv_1612171645129-pdf

 

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