Le domaine de la restauration a connu des jours meilleurs. Le coronavirus a stoppé net un secteur qui était particulièrement florissant en France. Nous avons donc voulu enquêter sur ces personnes qui vivent du secteur de la restauration. Pas nécessairement les patrons, mais bien les petites mains qui assurent le service. Les serveurs, également appelés « employés polyvalents », mais également les livreurs dont l’activité a connu un essor important ces derniers temps.
Nous avons interviewé Antoine et Marine, un couple de serveurs qui présentent la particularité de travailler dans un restaurant… ayant ouvert la veille de l’annonce du confinement. L’établissement devait relever le défi de se faire connaître tout en affrontant la perte d’argent que représentait cette annonce. Nous avons dans le même temps interviewé Lucas, ayant à la fois travaillé comme livreur pendant le deuxième confinement, et en tant que serveur durant le déconfinement.
La restauration, un secteur passé sous le tapis ?
Avec la pandémie, la restauration, comme beaucoup d’autres secteurs (comme le cinéma par exemple), subit de plein fouet les répercussions des mesures sanitaires mises en place par le gouvernement. En effet, de nombreux salariés de la restauration connaissent notamment d’importantes difficultés économiques. C’est le cas d’Antoine et Marine, un couple de serveurs exerçant dans un tout nouvel établissement.
Est-ce que en tant que serveurs, vous avez connu des baisses de salaire avec le Covid ?
Marine : « Le premier mois c’était complètement du chômage partiel, soit environ 1 000 à 1 100 euros de salaires, ça représentait environ 80 % du salaire. Actuellement on fait beaucoup moins d’heures (environ 20-25 heures) donc le salaire a beaucoup baissé ».
Antoine : « Avant le Covid, on était payé 35 h, mais dans la restauration il est courant de faire beaucoup d’heures supplémentaires et donc que le salaire monte assez vite aux alentours des 1700-1800 euros, ce qui n’est plus du tout le cas à l’heure actuelle ».
Leur train de vie a été fortement affecté dans la mesure où ils ont vu une baisse d’environ 600 euros de leur salaire. Cette baisse s’explique par un retour au smic sans heures supplémentaires. De plus, le fait que ce soit un couple qui travaille dans le même restaurant, entraîne une baisse du salaire dans le foyer de plus de 1 000 euros. Aujourd’hui, ils peinent à mettre de l’argent de côté en cas de coup dur ou même pour leur plaisir personnel et doivent se réadapter à un train de vie moindre.
Antoine (à propos de leur salaire à la fin du mois) : « Ça dépend des semaines, ça varie énormément, suivant la demande du restaurant lui-même, soit par rapport à la demande salariale ou par rapport au nombre de clients que l’on va faire. Donc oui, c’est une énorme baisse de salaire. On gagne vraiment le ras des pâquerettes, le minimum. Donc, après ça reste compliqué par rapport à tous les à côté, comme le loyer et la voiture. »
On sait que les restaurateurs touchent des aides de l’État, les fameux 10 000 euros. Est-ce que vous touchez des aides en tant que serveurs ?
Marine : « Absolument pas, rien du tout. »
Antoine : « On touche vraiment le minimum des 35 heures, et à part, si dans un élan de générosité on veut bien nous donner un petit complément de salaire, ce ne sera que de 50 ou 100 euros. »
Le quotidien est donc plutôt compliqué sur le plan financier. Vous utilisez votre salaire pour tout ce qui est nécessaire finalement.
Marine : « C’est sûr qu’on ne peut pas faire des folies. Le loyer, la voiture, l’essence, les courses et basta. »
Antoine : « Oui c’est juste qu’on est restreints au final, on est obligé de mettre un maximum de côté, sauf qu’on ne peut pas au final ».
Parmi les principaux travailleurs touchés par cette crise sans précédent, les restaurateurs font donc figures de véritables héros à leur échelle. Même en pleine tourmente, dans l’attente de décisions favorables du gouvernement concernant la réouverture des restaurants, ils arrivent à procurer un peu de bonheur en préparant de bons plats à leurs clients fidèles. Car oui les clients qui commandent des repas via le nouveau système de « click & collect », sont le plus souvent des clients qui avaient l’habitude de déjeuner ou de dîner dans ce restaurant. Avec le déconfinement, les gens se sont donc précipités dans les restaurants pour redécouvrir des saveurs et, en même temps, retrouver un certain cadre propice au retour à une vie normale.
Quel impact pensez-vous avoir sur la psychologie des gens ? Est-ce qu’ils se sentaient mieux du fait de pouvoir aller au restaurant après le premier confinement ?
Marine : « Oui concrètement, on voyait des gens qui étaient heureux de pouvoir s’asseoir à une table et manger en famille comme si tout était normal. »
Antoine : « Moi j’ai vécu différemment cet évènement dans le sens où il y a eu un véritable contraste entre l’avant-covid et l’après-covid. Avant le covid, en regardant les choses plus profondément, j’ai remarqué que les gens étaient beaucoup plus stressés, beaucoup plus méfiants. »
Les clients étaient plus décontractés du fait du soulagement de pouvoir aller dans un restaurant ?
Antoine : « Plus décontractés, oui. »
Cet été il y a eu le déconfinement, comment vous vous êtes réadaptés en tant que serveurs à la reprise du travail ?
Antoine : « Quand on a rouvert, on a remarqué que les gens, après avoir été confinés (et donc n’avaient eu aucun loisir, peu de contacts sociaux, aucun accès aux bars et restaurants), avaient besoin de se retrouver et de se réunir dans un lieu neutre et convivial qui correspond parfaitement au restaurant. »
En effet, cette période de déconfinement a vu une énorme augmentation de la fréquentation des restaurants. Ces derniers étaient parfois complets plusieurs jours à l’avance. Ce succès s’explique par l’envie de redécouvrir la restauration, le service, etc. Aujourd’hui, avec le couvre-feu, les gens ne viennent quasiment plus le soir pour récupérer leur commande à emporter via l’instauration dans plusieurs établissements du principe de « click and collect ». Plusieurs restaurateurs ont donc été obligés, pour des raisons économiques, de fermer les soirs de semaine car cela engendrait davantage de frais. Outre ces difficultés sur le plan financier, le personnel de la restauration se doit de respecter impérativement des mesures sanitaires.
À propos des règles sanitaires, comment vous vous êtes adaptés à elles ?
Marine : « Tout d’abord, il faut savoir qu’il faisait très chaud dans le restaurant parce qu’on utilise un four à bois donc même dans une cuisine ouverte la climatisation ne change pas grand-chose. Avec l’activité physique que l’on doit faire lorsqu’on sert, on avait très chaud. Les masques étaient difficilement supportables et pourtant on avait l’obligation de faire la police par rapport aux clients qui ne voulaient pas porter le masque ou qui oubliaient de le mettre en se déplaçant. Parfois, il était nécessaire de hausser le ton puisque certaines personnes étaient totalement anti-masques et n’acceptaient pas qu’on leur demande de le porter. Des clients s’énervaient sur les serveurs alors que ce n’est pas nous qui faisons les règles sanitaires. Pour moi, on était quelque part des boucs émissaires. Plusieurs clients ne voulaient pas respecter les mesures en place, et au final il y avait potentiellement une perte de clientèle avec les anti-masques. »
Pour toi Lucas, au niveau de la réglementation sanitaire, comment ça se passe avec Uber Eats ?
Lucas : « Avec le statut d’autoentrepreneur, la plateforme va me prodiguer des conseils sanitaires. Avant de commencer à livrer, je dois valider le fait que je respecte bien les conseils sanitaires, à savoir le port du masque, le lavage de mains au gel hydro alcoolique, etc. Cependant, il n’y a pas de contrôle donc il y a forcément des livreurs qui ne respectent pas ces règles. »
Vous qui êtes en restauration, est ce que vous respectez les mesures sanitaires ?
Marine : « Déjà en temps normal on a l’habitude de beaucoup se laver les mains donc là encore plus, et oui on à porter le masque tout l’été. »
Antoine : « Après tu peux toujours faire des écarts mais c’est indirect. C’est-à-dire qu’avec la réouverture des restaurants, les gens étaient contents de redécouvrir les serveurs et parfois ils ont un peu oublié les gestes barrières dans un élan de bonheur. Parfois on était obligé de se rapprocher des gens pour entendre ce qu’ils nous disaient à cause du masque et du brouhaha et du coup on ne respectait pas les gestes barrières ».
Antoine, toi qui es dans les cuisines, est-ce que les cuisiniers respectent les mesures sanitaires ou pas ?
Antoine : « Honnêtement non pas à 100 %, mais la plupart du temps oui on respecte un maximum. »
Qu’est-ce qui pose le plus problème dans les mesures sanitaires, est-ce que c’est le masque, le lavage de mains, la distanciation ?
Antoine : « Pour moi, c’est plus le masque. On doit le garder toute la journée jusqu’à la fin du service. Je pense qu’à un moment donné il faut être humain, moi ça m’est arrivé d’être en salle et de faire des allers-retours rapidement donc soit on est fort physiquement soit on tombe dans les pommes, et je suis quasiment sûr que c’est déjà arrivé à bon nombre de personnes. Donc oui en cuisine le port du masque n’est pas totalement respecté. Quand on fait les préparations lors de l’avant service on ne l’a pas. »
Toi Lucas, en tant que livreur et serveur, est-ce que tu respectais au maximum les gestes barrières et les mesures sanitaires, ou il t’arrivait parfois de faire des petites incartades ?
Lucas : « Cet été en tant que serveur, je les respectais le plus possible, je mettais mon masque, je mettais du gel, je désinfectais les cartes, etc. Après comme c’était en été, tout le monde était un peu euphorique parce que c’était le déconfinement, il y avait beaucoup de laisser-aller. Ça m’est arrivé d’enlever mon masque quand j’étais en plonge pour parler avec quelqu’un. Lorsque j’étais livreur, je mettais mon masque quand je rentrais dans le restaurant mais c’est vrai qu’avec le client je le laissais parfois aussi sous le menton. Par contre quand je pédale j’enlève mon masque et je ne me nettoie pas forcément les mains après les commandes.
Pour de nombreux salariés du secteur de la restauration, cette période pandémique a entraîné un véritable bouleversement de leurs habitudes de travail ainsi qu’une évolution de leurs tâches. En effet, ils ont dû s’adapter aux mesures sanitaires mises en place par le gouvernement, et également les faires respecter. Leur environnement de travail a aussi été modifié dans le sens où toute la journée ils devaient travailler avec un masque et n’avaient aucun contact avec les clients lorsque les ventes se faisaient à emporter. De plus, contrairement à d’autres services, la restauration a été mise de côté lors du second confinement. Les restaurants sont contraints de se diversifier à travers la vente à emporter, et si cela n’est possible, alors ces derniers n’ont d’autres choix que de fermer. Pour la plupart des acteurs de la restauration, apparaît alors un sentiment d’abandon de l’État à leur égard, même s’ils gardent en tête le fait que le gouvernement fait le nécessaire dans une situation inédite.
A propos du gouvernement, est ce que vous pensez être assez entendus vis-à-vis de la réouverture des restaurants ?
Antoine (en interrompant l’enquêteur) : « On n’a toujours pas de date de réouverture, donc pour moi non il n’y a pas d’écoute. »
Marine : « Je pense que le secteur de la restauration est mis de côté et je ne suis même pas sûr que le gouvernement ait un œil dessus pour l’instant. »
Est-ce que vous avez des idées de mesure qui pourraient vous aider à rouvrir, ou vous attendez de voir les décisions du gouvernement ?
Marine (tout bas) : « J’attends de voir »
Antoine : « Pour l’instant la seule décision qui peut y avoir c’est qu’il y ait un vaccin efficace, et que pour que toutes les personnes puissent venir manger dans les restaurants il soit mis en place un passeport vaccinal. »
Lucas : « Ce passeport vaccinal, il marche que si on trouve un vaccin qui empêche réellement la contamination. Il faudrait qu’il y ait un maximum de citoyens français qui se vaccinent pour que ce soit raisonnable, mais pour l’instant ça n’a pas l’air au point. »
Deux visions du monde : tradition contre libéralisme
Depuis la constitution Française de 1946, le principe de droit-créance semble être gravé dans le marbre pour les citoyens du pays. Dès lors, les Français peuvent exiger de l’Etat qu’il contribue à garantir leur dignité via entre autres, et c’est ce qui va particulièrement nous intéresser ici, un droit du travail, ainsi qu’un certain nombre d’aides sociales. Mais ces valeurs, considérées en France comme tellement structurantes qu’elles ont été inscrites dans la loi fondamentale du pays, qui définit les droits et les libertés des citoyens, ainsi que l’organisation et le fonctionnement des différentes institutions qui composent l’Etat, et à laquelle toutes les lois votées par le parlement doivent être conformes, ne sont pas unanimement et universellement partagées.
Aux Etats-Unis par exemple, la liberté des individus est souvent considérée comme supérieure au fait qu’ils puissent être égaux. Dans ce jeune pays d’Amérique du Nord, le sort des individus dépend bien davantage de leurs propres efforts, que du concours de l’Etat. L’aide sociale y est alors bien moindre que dans le vieux pays Européen qu’est la France.
Ces quelques éléments de contexte énoncés, nous voilà dotés d’une grille de lecture permettant de mieux comprendre le schisme latent, révélé par la crise du covid. C’est-à-dire, un clivage entre un certain libéralisme importé des États-Unis via, ici, des entreprises spécialisées dans la livraison à domicile, et le traditionalisme défendu en France par de nombreux restaurateurs. Notons par ailleurs, qu’il ne s’agit pas tant de dépeindre une opposition absolue, que de mettre en exergue différentes conceptions du monde, qui peuvent diverger, mais aussi se compléter.
Puisqu’il a été le premier à intervenir sur ce sujet, abordons la question du libéralisme à partir du témoignage de Lucas. Sa profession n’engendre apparemment que peu d’injonctions de la part d’Uber Eats, notamment en ce qui concerne les gestes barrière induits par l’actuelle crise sanitaire.
Cette économie de règles ferait alors de son travail, un espace de liberté. Uber Eats ou Deliveroo sont ainsi considérées par l’auto-entrepreneur comme des partenaires, davantage que comme des employeurs. Cette liberté est pour lui un bienfait, au même titre que pouvoir choisir quand travailler et à quelle cadence. Des bénéfices suffisants pour pallier au fait que l’activité ne soit pas particulièrement rémunératrice et que, devenir auto-entrepreneur ait occasionné des démarches administratives et le paiement d’un certain nombre de cotisations. Il prétend même qu’il s’agit d’un travail idéal pour les étudiants, en complément de revenus, en plus de la bourse. Tout en reconnaissant tout de même que des « pères de familles », ainsi que de nombreux migrants, sont également livreurs, et qu’ils peinent tous à gagner 800 € par mois, en travaillant pourtant durement.
Selon l’INSEE, le seuil de pauvreté en France est de 1 015 € par mois. Ces travailleurs sont donc pauvres. Les livreurs ne seraient en effet, selon Lucas, pas payés au SMIC. « Les méthodes de calcul de toutes les plateformes sont assez floues et opaques, ils savent que c’est 1 euro par commande et après, ça varie en fonction de la distance, du poids. », nous a-t-il dit.
En plus de ces aspects qu’il considère négatifs, il évoque une incitation implicite de la part d’Uber Eats, à ne pas respecter les règles de circulation. Les livreurs seraient en fait payés beaucoup plus s’ils faisaient davantage de commandes en peu de temps. Une prime est par exemple accordée entre 19h30 et 22h30, par un système de palier. S’ils font 18 commandes en 2h, ce qui est totalement impossible à réaliser s’ils respectent le code de la route, leur commission sera plus élevée. Uber Eats, sans le dire explicitement, incite donc à se mettre en danger soi-même, autant que les autres, pour espérer gagner quelques euros supplémentaires.
Ce qui n’empêche pas pour autant Lucas, de voir dans ce que l’homme d’affaires Maurice Lévy a le premier qualifié « d’ubérisation », quelques avantages pour les restaurateurs. Pour lui, les restaurants qui ne peuvent faire de l’emporté, surtout le soir avec le couvre-feu, devront, pour faire du chiffre d’affaires en soirée, avoir recours aux livreurs. Ils seraient alors très heureux de pouvoir compter sur une flotte Uber Eats ou Deliveroo, afin d’assurer la vente de leurs produits. Ce qui leur reviendrait moins cher que d’embaucher un livreur en CDI. Aussi, cette “uberisation” répondrait parfaitement à la demande au jour le jour, puisque s’il n’y avait pas de commandes, le restaurateur n’aurait pas à payer de livreur, tandis que si la demande était forte, il aurait accès à la flotte de livreurs des différentes plateformes.
Tant d’avantages pour les patrons de restaurants selon notre livreur indépendant, qui ne sont pas perçus comme tels par les deux serveurs que nous avons interrogés. Pour eux, comme pour leur patron d’ailleurs, les plateformes comme Uber Eats ne sont pas éthiques, puisqu’elles rétribueraient très mal leurs livreurs. Ils jugent injuste que l’entreprise fasse tant de bénéfices, et que ses livreurs n’en profitent pas assez.
Pour étayer leurs affirmations, Antoine évoque la part de la commande qui revient à Uber Eats. Celle-ci représenterait entre 30 et 35% de sa valeur totale. Ce que lui, comme Marine, trouvent exorbitant. Il ne reviendrait au restaurateur que 65 % de la commande, et au livreur, à peine 1 euro. Ils balayent donc l’idée que cette opération puisse être bénéfique au restaurant dans lequel ils travaillent. Ce lieu où « les gens viennent se réunir, ils sont ensemble, ils viennent partager un bon moment, au final. Quand tu viens dans un restaurant, c’est pas pour faire la gueule. Tu viens pour passer un bon moment avec des gens que t’aimes bien. Donc, c’est sûr qu’après, les distanciations ne sont pas du tout présentes, ne sont pas du tout là et font abstraction de ça et c’est là qu’au final, ils viennent là pour oublier. » selon les mots d’Antoine. Un monde à l’opposé de l’absence de « contact tactile » induite par la livraison selon Lucas, où la rapidité semble être une valeur cardinale.
Les mots d’Antoine illustrent bien la réputation de la France, reconnue pour être championne du monde du temps passé à table avec en moyenne 2h 13 par jour selon l’OCDE en 2016. Aux Etats-Unis, patrie d’Uber Eats, on y passe par exemple deux fois moins de temps, de même qu’au Royaume-Uni, pays d’origine de Deliveroo (France Info, 13 mars 2018). Ces habitudes culinaires pourraient sembler anodines, mais traduisent un art de vivre français, que l’uberisation pourrait mettre à mal. Autant du point de vue des contenus des repas et donc, de la manière de les consommer, puisque ces entreprises livrent très majoritairement de la fast-food, mais aussi, d’un point de vue social.
En effet, contrairement aux livreurs Uber et Deliveroo, même si Marine et Antoine n’effectuent en réalité que 15 heures hebdomadaires au lieu de 35, ils ne peuvent pas être payés moins que ce qui figure sur leur contrat. Ils sont protégés par des conventions collectives qui garantissent leur bien-être. Pourtant, signe que l’idée de droits créances est bien ancrée dans la culture politique des français, Marine et Antoine espèrent percevoir davantage que ce qui leur est octroyé. Notamment, parce que leur patron a reçu une aide de l’Etat, d’une valeur de 10 000 euros, mais aussi, pour compenser le manque à gagner occasionné par l’impossibilité d’effectuer des heures supplémentaires ou bénéficier de pourboires dans ce contexte sanitaire.
Lucas leur fera tout de même remarquer que cette aide de 10 000 euros, sert certainement, entre autres, à combler l’écart entre les heures qu’ils ont réellement effectuées et la rémunération qui est prévue par leur contrat. Ce que n’avaient pas naturellement perçu les deux serveurs, tant en accord avec les valeurs de leur lieu de travail, qu’ils trouveraient tout à fait normal de bénéficier de davantage d’aides. Alors qu’un livreur Uber, bercé par d’autres idéaux, serait apparemment plus enclin à considérer les choses autrement.
La restauration est un secteur en difficulté, à cause du Covid certes, mais également puisque c’est un domaine qui évolue. Une évolution qui est accueillie à bras ouvert par une partie de la population et rejetée par une autre. Le coronavirus qui a entraîné une fermeture des restaurants depuis mars 2020, avec un déconfinement l’été qui a permis aux restaurateurs de reprendre leur activité, a également entraîné un sentiment d’abandon de leur secteur que les aides de l’Etat n’ont pas réussi à combler.
On a observé la multiplication des prises de paroles de restaurateurs qui accusaient le gouvernement de les laisser sans perspective d’avenir et surtout sans date de réouverture. Cependant cette crise a révélé une révolution qui avançait petit à petit dans ce secteur, cette révolution étant l’uberisation. La précarité guette les travailleurs de ce secteur qui cependant se montrent très enclins à faire la promotion de ce type de travail. En tant qu’auto-entrepreneur, il semble difficile de se syndiquer ou de faire des conventions collectives du métier de livreurs, sachant que légalement ils ne sont que partenaires et non pas employés. Ce modèle peut effectivement fonctionner dans un pays ou les pourboires seraient la norme comme les Etats-Unis par exemple. Cependant la France a pris comme modèle le fait que c’est aux patrons de rétribuer correctement les employés et non pas aux clients.
Dans le futur, le secteur se montrera peut-être plus régulé et les travailleurs mieux encadrés. Cependant, pour l’instant, le manque d’éthique affiché peine à convaincre certains restaurateurs, comme la patron de Marine et Antoine. Bien que le recours aux livreurs indépendants soit la seule manière de continuer de servir des clients à toute heure dans un tel contexte, celui-ci préfère s’en affranchir et compter sur un coup de pouce de l’Etat pour s’en sortir.
Valentin Lelievre, Axel Lavenu, Michel Giraud
L2 Science Politique