Récit autoparodique d’une mésaventure à Camon

(Âmes sensibles s’abstenir)

Nous arrivâmes à Camon serrés comme des sardines dans le bus B7 en direction de la Blanche Tâche. Nous étions trois : Paul, le petit cousin de l’homme des marais, qui avait passé toute la matinée dans les vapeurs et qui dégageait une assurance et une désinvolture presque obscène étant donné les circonstances, Michela, infatigable dame au cœur pur mais pleine d’un optimisme malavisé, et moi Max, l’homme portant chapeau pour ne pas être décoiffé par le vent, dans les faits, la troisième roue du carrosse qui n’était là que pour donner l’impression qu’il faisait quelque chose.

Nous arrivâmes au port à fumier, peut-être ainsi nommé en raison de sa fréquentation, mais nous eûmes la déception de ne trouver ni fumier, ni maraichers, ni même un chat : il n’y avait que des canards et des poules d’eau. Nous partîmes donc à la boutique de vente de légumes ; au passage nous découvrîmes que Jesus de Nazareth était un martien (mes collègues affirment que si cette statue était petite et verte c’était parce que a) elle n’était pas à l’échelle et b) elle était couverte de mousse. Mais je pense différemment.) et que de plus, l’architecture des maisons était aussi laide que dans ma ville natale de Compiègne. Une fois arrivé à la boutique nous eûmes la désagréable surprise de constater qu’elle était fermée. J’eus le trait d’esprit de faire remarquer qu’il pouvait toujours pleuvoir, bien entendu les premières gouttes commencèrent à tomber sur nous cinq secondes plus tard. C’est à ce moment-là que je me dis que j’aurais mieux fait de faire mon stage d’enquête tout seul sur les libraires indépendants. Mes deux camarades lassés de mon manque d’enthousiasme (ou pensant peut-être que je leur portais la poisse) me firent appeler au numéro sur la devanture de la boutique ; je tombais sur le répondeur d’une certaine Pommedeterre Pierrette (les noms ont été changés par souci d’anonymisation), heureux de ne pas avoir à m’adresser directement à une autre neurotypique sans relief mais à l’accent prononcé je lui laissai un message bref mais précis lui expliquant qui j’étais, pourquoi je l’appelais, et lui demandant de me rappeler. J’attends toujours qu’elle le fasse. Une fois le message envoyé, nous n’eûmes plus rien à faire sauf attendre. Nous nous rendîmes dans une boulangerie mais ce qui était proposé en vitrine avait l’air tellement appétissant que j’ai oublié pourquoi, tout ce que je peux dire c’est que Paul faisait le guet à l’entrée et que nous repartîmes bredouilles. Du coup nous fîmes naufrage dans un bar où mes collègues prirent du méthylthéobromine tandis que je me contentais d’un peu de coke. C’est là que Michela ouvrit les portes de l’enfer et que je fus torturé pendant cent soixante-dix-huit ans de bibliographie sociologique. Heureusement l’internet sur mon téléphone me permit de ne pas succomber à l’effroyable migraine engendrée par cette abomination que la vile sorcière voulait me forcer à lire (et qui n’avait d’ailleurs qu’un lien très relatif avec notre sujet). Heureusement pour moi, ayant été informés que le marché ouvrait à 17h, nous retournâmes au port à fumier avant que Michela n’ait eu le temps de finir de me lobotomiser.

Quelques mètres avant d’arriver là-bas, nous fumes interloqués par la vision de plusieurs individus sales et malodorants, chacun doté d’une mine patibulaire, occupés comme ils étaient à charger des cagettes de légumes depuis un garage et de les monter dans une camionnette. J’en ai instantanément déduit que nous étions témoins d’un cambriolage et j’eus vite fait de passer mon chemin, les mains dans les poches, comme si de rien n’était, non sans omettre de souffler à l’oreille de mes camarades de ne pas prévenir la police pour éviter les ennuis. A ma grande surprise Michela et Paul ont eu une interprétation toute différente : ils se sont dit que ces hommes devaient en fait être des maraichers et ils souriaient tous deux d’un même air naïvement machiavélique en songeant que nous allions enfin pouvoir obtenir un entretien. Cependant nous décidions de ne pas les déranger dans leur tâche. Si pour Michela et Paul ce fut par politesse, moi ce fut par lâcheté car je n’avais pas encore totalement abandonné ma thèse des cambrioleurs.

Nous nous sommes donc assis sur un banc en attendant que le marché commence. Après avoir décidé de qui allait parler aux maraichers avec Paul au cours d’une partie de pierre-feuille-ciseaux où ce dernier s’est fait annihiler (s’il est vraiment besoin de le préciser), nous regardâmes les canards barboter pendant un long moment. Au bout de dix minutes, et alors que mon envie d’abattre tous ces maudits volatiles atteignait des niveaux dangereusement élevés, je choisis d’aller voir l’état d’avancement du travail des malfrats… bon d’accord, des « braves et honnêtes maraichers » dans le garage. Mais j’eus la désagréable surprise de constater qu’ils étaient partis avec la camionnette et que le garage était fermé. J’en vins à la conclusion que ma première impression à leur sujet était la bonne et qu’il s’agissait bel et bien de cambrioleurs. Dans ma grande modestie j’allais faire part à mes deux comparses à quel point j’avais raison et eux avaient tort, mais encore une fois je me confrontais à leur réticence bornée à reconnaitre l’évidence. Et nous restâmes plantés là pour une autre éternité jusqu’à ce qu’un hybride d’harpie et de troll se pointe dans sa camionnette pour nous observer d’un œil affamé. En concertation avec Paul nous envoyâmes Michela, notre agneau sacrificiel, pour nous préserver de sa fureur. Mais la créature se défila et de son accent pécore nous affirma qu’elle n’était pas du coin (alors que Michela l’avait pourtant bien reconnue) et puis elle disparut tout aussi rapidement qu’elle était apparue.

Nos échecs successifs  ayant finalement eu raison de notre détermination, nous décidâmes de nous en aller. Alors que nous étions en chemin vers l’arrêt de bus, nous aperçûmes la même camionnette que précédemment se diriger vers le Port à Fumier. « Les criminels retournent toujours sur les lieux du crime » dis-je alors à Paul et Michela, mais eux toujours persuadés que nous avions à faire à des maraichers me dirent qu’ils devaient tout simplement chercher à nous éviter. Épuisé de leur scepticisme à mon égard, je pris mon courage à deux mains et je me décidais à aller voir les « maraichers » pour confirmer mon hypothèse, tandis que mes collègues allèrent se cacher derrière Jesus le martien, déposant une pâquerette à moitié fanée à ses pieds pour me porter bonheur. Quand j’arrivai donc au port à fumier pour la troisième fois de l’après-midi, je vis les individus de la camionnette en train de décharger les cagettes alors que d’autres individus, vraisemblablement leurs receleurs, s’alignaient pour le trafic.

– « Excusez-moi, monsieur, vous êtes maraîcher ? »

– « Non, non, pas du tout »

Ah ! Je le savais !

Écrit par Maxime Sevestre

Articles publiés 33

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut